Eh ben voilà

Aujourd’hui, j’ai ouvert une bouteille de champagne. Je me suis installée face à l’écran. D’aucuns diraient avec « moi-même », mais non, ce genre de tête à tête ne donne pas envie d’écrire en se disant : « ça y est, ce soir, je baptise mes premières lignes, le lancement d’un best seller qui va parler au monde ».
Non, cette démarche est généralement plus intimiste et ne présuppose pas quelques lecteurs.
J’ai fait ça, juste en revenant des toilettes (lieu qui favorise le tête à tête). Une inspiration, un espoir, peut-être, et un désir aussi : un je ne sais quoi qui vous emplit de certitude, au point de vous dire :"c’est ce soir que débute le grand œuvre de transmission du voyageur que tu es." Ouf, les mots sont lâchés dans leur plus pure vérité, brillant de leur diamantine évidence...

La première gorgée bue, déjà, tout se complique. À la dixième ligne, quelle déconfiture!

On va commencer simplement, d'accord?
Tout d'abord, la question préliminaire : qui suis-je?
(Comme si on pouvait répondre à ça!)

Les mots s'imposent et je me plie à leur contrainte, ils sont les maîtres de ce texte :

Vent, terre, neige, anguille, potage, sirène, vigneronne, vipérine, vilebrequin, paille, équinoxe, perception, Toscane, soleil, vigueur, ballon, fusil, couleuvre, vergeture, abrasif, accordéon, passer, chéquier, vibrionner, chocolat, lapin, Gloria, draguer, ébullition, pagode, joyeux, herbe, bleu, infiltrer, tortionnaire, évidence, hibiscus, éternuer, admirable, ananas, spectre, silhouette, carrelé, nénuphar, abhorrer, pas, cinquante, encore, lexique, camisole.

Rien ne vous empêche de jouer avec cette liste-là dans les commentaires!


Je me tiens sur un tertre balayé par le vent, auquel parfois se joignent quelques flocons de neige qui donnent à la terre ce parfum admirable qui s’infiltre dans nos êtres.
Etonnamment, malgré la latitude, cette perception m’entraine dans des réminiscences de soleil Toscane et met mon cœur en ébullition.

Peut-être que je suis une anguille, une couleuvre vipérine, une sirène qui passe et vibrionne à travers flots, vigneronne du lexique, forant avec vigueur l’évidence des mots, pour, avec mon vilebrequin , draguer leur herbe bleue, ouvrir les camisoles, et encore, tracer la silhouette d’une pagode naviguant entre les nénuphars. Ou les hibiscus, peut-être ?
Je ne sais...
Est-ce plume ? Est-ce paille ? Est-ce que je navigue dans le potage des équinoxes ? Les maisons en caramel chocolat ? Suis-je un ballon ou cinquante, fondant sur le fusil visant un lapin ? Les vergetures de Gloria, quand elle les regarde en écoutant des airs d’accordéon ?

Mais qui suis-je ? où suis-je ?
Je ne peux pas être ce tortionnaire qui réclamait dix feuilles de papier abrasif, cinquante et encore, n’est-ce pas ?
Je ne peux pas être ce que j’abhorre, ni sortir mon chéquier pour éponger mes dettes.
Je ne peux être ce spectre qui éternue dans un espace vide et carrelé !

Je me tiens sur un tertre balayé par le vent.
Joyeux, je déguste un ananas.

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