Visions

C’est demain, rien dans le ciel ne peut laisser présager : ou peut-être une densité différente, un parfum légèrement poivré qui se mêle à l’iode. Poivré, sucré, une teinte camaïeu de coucher de soleil à peine poisseux, des remous lents, presque angoissants et pourtant si rythmiquement ordinaires.
Le canot se balance à quai. Il n’y a rien que tu ne connaisses par cœur, depuis ton enfance : la découpe des roches volcaniques, leur magma pétrifié, les galets qui assuraient ta prise, enfant, quand grimpant à l’assaut du ciel dans un défi témoignant de ton audace, tu n’avais pas peur de la mort. La mer, qui haletait, ton amie.
Jamais de peur : tu partais loin avec confiance. Tu nageais, tu grimpais, tu brûlais !Mais que s’est-t-il passé ? As-tu rétréci ? As-tu vieilli, prenant peu à peu la mesure de l’immensité et de ses dangers ? De l’inconnu vecteur d’accrocs où seul le fatalisme s’érige en réponse à cette angoisse que tu as vu enfler au fil du temps ? As-tu soudain basculé, horrifié, couché sur la terre, refusant d’embrasser ce vaisseau céleste avec confiance ? Qu’as-tu fait de ton émerveillement quand les étoiles, vieilles de tant d’années, entraient en toi, complices ?
Et cette habitude que tu as prise d’écrire, de raconter, de tenter d’exorciser ainsi les ombres de la nuit, croyant tendre des filins vers des navires amis ? Ces paroles acharnées sur la VHF pour capter une parole venant de tes frères aspirés par ce décillement ont pris la place de ton insouciance.
Il pleut des comètes et des langues de feu, des scories, des tempêtes, des murs de houle, des fins du monde. À venir. Apocalypse now.
Intégré, désintégré dans ta vie d’enfant du vingtième siècle, la Shoa, Hiroshima, et le no future.
Il pleut des charniers, des chiens, de la conscience.Tout un magma de sang qui a tué ton innocence.
Tu regardes tes mains.
Fuir, partir, résister, partager, aimer.
Mourir relié.
Tu largues les amarres. Ton canot rejoint le navire, la voûte céleste éclatée, brisée en mille morceaux qui tombe sur les mains jointes.


Demain. Tu l’as toujours su. Nous prendrons un navire, un vaisseau, un envol. Nous nous compacterons, unique et multiples. Nous partirons, après avoir foutu notre maison à sac. Petits merdeux redoutables, canaille, racaille. Parce que nous aurons voulu réponse à nos questions. Nous partirons. La mer sera de glace. Le ciel sera de feu. Nous traverserons la baie des anges, sans savoir où nous allons.

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